Vous vous en souvenez certainement ; la polémique fit rage ; schématiquement il y avait d’un côté les scientifiques qui trouvaient que ce n’était ni éthique ni raisonnable et les autres qui n’y connaissaient rien mais qui trouvaient au Professeur Raoult un air de Robin des Bois en rupture avec tout ce qui représentait l’ordre, le pouvoir établi… bref Paris

Patrice Corbin

membre du Comité Directeur du CRAPS, Avocat & Conseiller Maître Honoraire à la Cour des comptes

Pour vous permettre de mieux comprendre mon histoire, il faut d’abord que je vous en rappelle le contexte.

Comme vous le savez certainement, et pour résumer rapidement la situation, la mise sur le marché d’un nouveau médicament, en particulier pour les humains, fait l’objet d’une longue procédure : expérimentation « in vivo » en laboratoire puis expérimentation chez l’animal, passage devant des comités d’éthique avant l’expérimentation chez l’homme ; puis expérimentation sur une cohorte de volontaires sains pour vérifier l’innocuité d’un produit.

Puis, lorsque celle-ci est démontrée, expérimentation sur une (ou des) cohortes de malades atteints de la pathologie à laquelle le médicament est censé s’attaquer. Ces cohortes de malade doivent comprendre un nombre suffisant de patients pour que les résultats soient statistiquement représentatifs. De plus, la procédure dite d’expérimentation en double-aveugle est généralement utilisée (une cohorte reçoit le produit en expérimentation et une autre ne reçoit qu’un placebo : par exemple du sucre mais l’expérimentateur lui ne sait pas qui reçoit quoi).

Tout cela prend beaucoup de temps et d’argent mais ces contraintes étaient généralement admises par tous.

C’est là où mon histoire commence :

Elle commence, en mars 2020, en plein confinement, par l’intervention de la grosse caisse ou du trombone selon l’instrument que vous préférez. Vous l’aurez deviné, il s’agit du Professeur Raoult, scientifique reconnu, mais dont l’ego correspond aux instruments évoqués ci-dessus. Ce dernier décide en effet, à ce moment, de s’affranchir des procédures habituelles en utilisant contre la Covid-19 un médicament déjà connu pour d’autres pathologies, et cela, sans respecter les règles habituelles d’expérimentation (notamment la taille de la cohorte de malades). La raison invoquée par le Professeur Raoult étant l’urgence, qui justifiait selon lui, que l’on s’affranchissât de toutes ces procédures.

Vous vous en souvenez certainement ; la polémique fit rage ; schématiquement il y avait d’un côté les scientifiques qui trouvaient que ce n’était ni éthique ni raisonnable et les autres qui n’y connaissaient rien mais qui trouvaient au Professeur Raoult un air de Robin des Bois en rupture avec tout ce qui représentait l’ordre, le pouvoir établi… bref Paris.

Le Professeur Raoult aurait dû, selon certains, être poursuivi au pénal ; c’était politiquement trop risqué ; on en resta donc là.

En 2021, l’affaire semblait oubliée. En fait, elle cheminait à bas bruit.

Un petit air de flûte se fit alors entendre. Un article paru dans le monde à l’été 2020 passât presque inaperçu et allait avoir pourtant des conséquences redoutables.

Là aussi, pour faire court, cet article opposait la science et l’épistémologie : la science et la philosophie des sciences. L’épistémologie ne reconnaît comme démarche véritablement scientifique qu’une démarche (hypothèse, découverte etc.) « falsifiable » comme on dit en franglais, c’est-à-dire que l’on peut contester, remettre en cause à tout moment. Si une position scientifique n’est pas contestable à tout moment elle devient un article de foi et n’est donc plus du domaine de la science.

Querelle d’experts me direz-vous sauf que cet article et l’épisode Raoult n’étaient pas tombés, si je puis dire, dans l’oreille d’un sourd.

Si n’est scientifique que ce qui est contestable ; soyons scientifique ; contestons !

Au printemps 2022, un éminent professeur, cancérologue spécialisé dans le cancer du pancréas, membre d’un hôpital universitaire dont je tairais les noms, auquel les différents comités scientifiques refusaient l’autorisation d’expérimenter sur ses malades un produit auquel il croyait, décidât de s’affranchir des procédures habituelles, et leur administrât un médicament généralement utilisé dans le cancer de la vessie. Son principal argument était : Raoult l’a fait, pourquoi pas moi ? Et de plus, il y a urgence, mes malades meurent ; ce qui était vrai.

Les malades continuèrent à mourir, mais comme ils mouraient de toute façon avant, et qu’il s’agissait d’un éminent Professeur, personne ne dit rien. Sauf que la brèche était clairement ouverte.

En 2023, dans trois CHU, trois médecins moins éminents mais consciencieux : l’un urologue, l’autre pneumologue et le troisième dermatologue décidèrent eux aussi, sans s’être concertés, de s’affranchir des procédures habituelles d’expérimentation ; là aussi au nom du précédent Raoult et de l’épistémologie.

L’urologue choisit de soigner les malades de son service atteints d’un cancer avancé de la prostate par un anti inflammatoire très puissant ; le pneumologue décidât de soigner les pleurésies grâce à un dérivé nicotinique et le dermatologue les mélanomes malins par un extrait d’ortie blanche.

Alerté le ministre de la Santé condamnât cette pratique ; mais c’était sans compter sur les réseaux sociaux. Au nom des médecines douces, de la liberté de se soigner, du féminisme contre le machisme ambiant, du refus du diktat des « sachants » et contre le grand capital qui était, de toute évidence, derrière cette manœuvre, les réseaux sociaux s’enflammèrent et furent rejoints par les autres médias

Le résultat ne se fit pas attendre. Les cancers de la prostate prospérèrent ; les patients commencèrent à en mourir ; les familles protestèrent. Mais le nombre de morts étant limité par la taille du service : l’affaire en restât là ; seule, la société savante d’urologie, au nom de la réputation de la discipline, condamnât très fermement cette expérimentation sauvage.

La même chose se produisit pour le pneumologue ; les pleurésies s’aggravèrent ; certaines furent fatales. La société savante de pneumologie écrivit au ministre de la Santé pour protester. Le bilan de l’affaire se limitât cependant à la carrière du pneumologue (qui se considérât alors comme un martyr de la science) et à quelques morts (mais il faut bien mourir de quelque chose).

En revanche l’affaire du dermatologue et de l’ortie blanche devint un scandale national. La vogue de l’écologie et du bio auquel s’ajoutait le fait que ce praticien était une femme aboutirent à ce que ce nouveau traitement se mit à être recommandé sur les réseaux sociaux. Les services hospitaliers furent assaillis de demandes des patients. Or, ce produit n’étant pas un médicament reconnu, il était introuvable en pharmacie ; les familles se mirent à sa recherche sur internet ; faux médecins et vrais escrocs se régalèrent à proposer n’importe quoi… mais avec de l’ortie blanche.

Or, le mélanome malin est une maladie grave et les patients, là aussi, commencèrent à mourir en grand nombre (on comptât jusqu’à 300 décès).

Alerté le ministre de la Santé condamnât cette pratique ; mais c’était sans compter sur les réseaux sociaux. Au nom des médecines douces, de la liberté de se soigner, du féminisme contre le machisme ambiant, du refus du diktat des « sachants » et contre le grand capital qui était, de toute évidence, derrière cette manœuvre, les réseaux sociaux s’enflammèrent et furent rejoints par les autres médias.

Ce fut une belle foire d’empoigne comme la France les adore.

Des poursuites furent cependant engagées au pénal contre ce médecin qui n’avait pas respecté les procédures habituelles en matière de recherche ; il fut lourdement condamné.

Puis on passa à autre chose.

Il sembla, en 2025, que l’opinion avait compris que les procédures d’expérimentation en matière de produit de santé était faites pour protéger la population et non pour embêter le petit peuple.