Le processus avait magnifiquement fonctionné : les personnes-clés avaient convaincu, facilement, qu’il fallait tout d’abord valider le nom du Plan, ce qui donnait le sens, pour pouvoir ensuite en définir les objectifs et actions de façon strictement conforme à l’ambition que donnait le nom du Plan

Michel Monier

Ancien Directeur Général Adjoint de l’Unédic et Membre du CRAPS

Il en avait fallu des réunions, interministérielles tout d’abord, puis de cadrage au sein des administrations centrales ! Ce cycle préparatoire avait permis au Commissaire à la transformation de satisfaire aux attentes du Premier ministre qui alors avait pu lancer le cycle des séminaires réunissant les personnes-clés.

Pour en arriver là une rare agitation avait animé les couloirs des administrations centrales ; du chef de bureau au stagiaire de l’ENA chacun tentait de faire valoir son expérience (les chefs de bureau), son expertise technique (les adjoints aux chefs de bureau) sa motivation (les stagiaires). Quelques contractuels avaient tenté leur chance faisant valoir leur créativité (postuler en était une belle illustration).

Chacune des administrations adressa à son ministre le nom de la « personne-clé » qu’elle proposait pour armer ce collège interministériel, le premier du genre regroupant tous les ministères. Certes il s’agit d’un Gouvernement « de mission » comptant un nombre restreint de ministères (32) mais c’était une première : une vraie interministérielle !

La méthode retenue était celle de la co-construction participative ; il était demandé à ce collège de sortir du cadre, d’agir à la façon d’un collectif.

Mais de quoi s’agissait-il ? Quel sujet pouvait, à ce point, modifier les modalités de l’action publique ?

Il s’agissait, dans la perspective crainte d’une deuxième vague pandémique, de mettre à jour le Plan Blanc. Il convenait de tenir compte des enseignements tirés, douloureusement, de la première vague de début 2020. Un tel chantier imposait à l’évidence une approche transverse… qui, elle, expliquait cette salutaire agitation inhabituelle, cette excitation administrative : on allait sortir du cadre.

Le Premier ministre s’était appliqué à ne pas cadrer les travaux et a affirmé vouloir réunir les conditions d’une démarche réellement ouverte, insistant sur la qualité et les expertises des participants qu’il avait nommés « personnes-clés » (et non pas « personnes-ressources » comme le proposait l’un de ses conseillers techniques). Le Premier ministre avait toutefois insisté sur un point, un seul. Outre le contenu du Plan, il souhaitait qu’un autre nom lui soit trouvé. Il voulait affirmer une politique nouvelle et volontariste ! Il fallait donc que ce soit visible, que ça se sache, que « ça parle tout seul ».

Dès sa première réunion le collège des personnes-clés s’empara de ce sujet : renommer le Plan, ce n’était pas le moindre des chantiers qui les attendaient. Les personnes-clés s’étaient assez rapidement entendues : avant même de travailler au fond il fallait, absolument, répondre à l’attente du Premier ministre et il s’imposait à l’évidence qu’il fallait ne pas conserver le mot « blanc ». En rejetant « blanc » il ne s’agissait pas de faire comme ces grandes marques qui, « black lives matter » oblige, rayaient ce mot de leur vocabulaire marketing. Il s’agissait de bien autre chose : nommer une politique publique.

Les travaux, dans un élan partagé, s’orientèrent donc vers cette priorité qui constituait l’unique point à l’agenda du premier séminaire.

Le représentant de l’Education nationale intervenait : « s’il s’agit de trouver un nom qui soit compris du Français moyen alors je souhaite affirmer qu’il faut nous efforcer d’inventer un mot qui, je le regrette tout autant que notre collègue de la Culture, n’aura rien de notre bon vieux français. »

La personne-clé représentant le ministère de la Culture, demandait la parole et l’obtint. Après avoir dit qu’acronymes, anglicismes et autres injures à la langue de Voltaire ne sauraient être envisagés, il proposait, tout de go « provide actum est » pour nommer ce Plan ; le latin, ajoutait-il, marque le sérieux de la chose, renvoie aux racines ce qui en ces temps de désinstruction est bien nécessaire, faisons d’une pierre deux coups !

Il y eut un blanc (non, pas un blanc : un silence !). Les masques que portaient chacune des personnes-clés trouvèrent une fonction inattendue… masquer les sourires.

Le représentant de la Culture, visiblement satisfait de l’effet que provoquait sa proposition et après avoir jeté un regard circulaire et malicieux, enchaînait : « c’était pour lancer le débat, rompre la glace, toutefois il me revient d’informer notre collège que ma Ministre ne pourra accepter que nous blessions notre belle langue. Je me dois de vous rapporter ce qu’elle me disait lorsque mon nom fut retenu pour la représenter – je cite – « Blesser le Français quand il s’agit de nommer un plan santé serait une erreur grossière. Agissez donc, Cher Thomas, pour éviter qu’une grossièreté ne soit commise. Vous êtes personne-clé alors : verrouillez-moi ce b….. ! Et veillez aussi, Thomas, à ne pas accepter cette barbarie qu’est l’écriture que l’on dit inclusive alors qu’elle exclut toute intelligence faisant la place à ceux qui « sachent » » ».

Le représentant de l’Education nationale intervenait : « s’il s’agit de trouver un nom qui soit compris du Français moyen alors je souhaite affirmer qu’il faut nous efforcer d’inventer un mot qui, je le regrette tout autant que notre collègue de la Culture, n’aura rien de notre bon vieux français. Vous le savez, chers collègues, l’Education nationale n’a plus les moyens d’instruire notre jeunesse. Et moi, ce que je dis là ce n’est pas un cadrage du ministre, à l’Education nationale ça ne se fait pas ! Ce sont des onomatopées qu’il leur faut aux jeunes si nous voulons que le Plan « leur parle » ou alors c’est un plan éducation qu’il nous faudrait mais bon « la santé avant tout », ce plan éducation j’en ai le nom « éducaction », qu’en pensez-vous ? De toute façon les syndicats sont d’accord ».

Les masques cachaient, à ce moment là autre chose que des sourires !

La personne-clé du ministère de l’Intérieur recadra les débats : « nous sommes là pour la Santé, l’Education n’est pas prioritaire… ». Le représentant de Bercy lui volait la parole : « on ne peut pas tout faire, vous savez, un budget c’est… ». Grenelle intervenait : « on ne peut pas tout mettre à la table des négociations… ». L’écologie tenta un : « nous sommes là pour la Santé mais c’est par une démarche systémique qui n’ignore pas la diversité des sujets que la San… ». Le représentant de l’INSEE (l’INSEE est partout) glissa un : « c’est bien là ce que je prévoyais ex-ante que statistiquement : nous ne sommes pas sortis de l’auberge, toutes choses égales par ailleurs ». Le représentant du Quai, voisin de celui de l’INSEE lui répondait : « au Quai nous savons ce qu’est le temps long, aussi avec votre soutien je me propose d’intervenir pour tenter de rapprocher les parties. Votre accord, même tacite… ». L’INSEE répondait déjà : « ok, le Quai ! mais quelle marge d’incertitude vous donnez-vous ? ». Le conciliabule fut interrompu par le représentant des services du Premier ministre : « mesdames, messieurs, en vous demandant de bien vouloir excuser, et accepter, mon intervention directive mais, le Premier ministre m’appelle et de toute façon nous arrivons au terme de ce premier séminaire. Je crois que nous pouvons nous féliciter du travail déjà effectué, travail qui illustre de belle façon ce qu’est notre engagement à satisfaire cette mission qui nous est confiée. Je lève donc là notre séance. Nous nous retrouvons dans deux jours et c’est, je crois (je n’ai pas relu ma fiche) notre collègue de la Justice qui nous accueillera. Il nous revient de produire de la norme, ne nous égarons pas, continuons sur cette lancée ».

Les 15 séminaires se tinrent au rythme prévu et le calendrier prévu était respecté, c’était encore une première pour des travaux interministériels. Tous se félicitaient de la qualité, et de la convivialité de ces travaux interministériels. Le Commissaire à la transformation s’en félicitait à longueur d’interview dans la presse spécialisée qui lui décerna l’award de « manager public de l’année », cette récompense lui valu d’être lui-même transformé en Haut-Commissaire à la transformation.

Le nom du Plan était donc validé à l’unanimité des personnes-clés participantes. Certaines d’entre elles avaient dû, toutefois, demander l’arbitrage de leur administration centrale, celle-ci remontant alors jusqu’au « cab » pour s’assurer que les travaux d’experts respectaient l’orientation politique, le « cab » devait alors vérifier la cohérence au niveau interministériel… La chaîne de décision se mettait en branle, bien huilée.

Le processus avait magnifiquement fonctionné : les personnes-clés avaient convaincu, facilement, qu’il fallait tout d’abord valider le nom du Plan, ce qui donnait le sens, pour pouvoir ensuite en définir les objectifs et actions de façon strictement conforme à l’ambition que donnait le nom du Plan.

C’est « Préva(n)ctionS » qui sortait vainqueur. « Préva(n)ctionS » dit tout, la prévention et l’action, le « S » final et majuscule dit les mots « santé » et « solidarité », sans effrayer le public et, parce qu’il marque le pluriel, annonce la riche multiplicité des actions de prévention et donc l’approche… systémique. La parenthèse est due au génie d’un consultant qui la proposait pour illustrer la « respiration », la « prise de recul » nécessaires avant l’action (« Anticip’actionS » avait, un moment, semblé pouvoir sortir gagnant ; le message qu’il véhiculait, anticiper l’action, avait conduit à ne pas poursuivre : beaucoup le comprenaient comme trop opérationnel, pas assez stratégique).

Le cycle de séminaires avait permis de préciser les actions du plan… mais s’agissant de « propositions et orientations soumises à l’arbitrage des chefs de projets interministériels » elles sont, à ce stade, sous embargo.

Une source proche du dossier laisse habilement fuiter que Préva(n)ctionS pose le principe de…

FIN.